Comme la fois où j’ai décidé d’assumer mes cheveux blancs.

« Ark, un cheveu blanc » – c’est la phrase d’une collègue, début trentaine, à la vue de son reflet dans l’ascenseur, aka le Palais des glaces, du Balfour rue Saint-Laurent. Cette phrase si souvent entendue de la bouche de femmes de mon entourage. Cette phrase que j’ai moi-même prononcée.

Au début, on les arrache. Et puis très vite on se rend compte qu’en repoussant, ça fait l’effet porc-épic : t’as encore des cheveux blancs, mais plus courts – une petite couronne piquante. Alors tu décides de les teindre. Pour toujours. Ou jusqu’à ce que tu aies des petits-enfants ou du moins que tu sois assez vieille pour arborer le parfait chignon de Grand-Mère dans les Passe-Partout OG. 

Perso, j’ai arrêté de me teindre pour plusieurs raisons : je trouvais ça looooooong; je trouvais ça cheeeeeer; je trouvais ça jamais de la bonne couleur. 

Perso, j’ai arrêté de me teindre pour une raison. Un événement, plutôt. Enceinte jusqu’au cou, j’ai voulu faire teindre ma repousse, question d’être belle pour l’arrivée du bébé. Je me suis donc rendue chez mon coiffeur cool & cher, qui n’est pas David D’Amours, mais presque. Alors que j’attendais que la teinture pogne avec mon gros ventre et ma face de rétention d’eau, Simon-Olivier Fecteau est entré dans le salon et s’est assis sur la chaise voisine pour « une p’tite coupe ». On se connaît un peu; à mon grand désarroi, il m’a reconnu malgré ma racine bien beurrée et ma cape gothique. « Salut Beetlejuice! », qu’il m’a dit. (Ben non, il ne m’a pas dit ça. Il m’a juste salué poliment.) Et pendant qu’il balayait son crâne de la main pour expliquer au Cool & Cher les subtilités de son cuir chevelu, je l’ai observé du coin de l’œil. J’ai remarqué ses cheveux blancs. Et je me suis dit que c’était don’ beau, un homme grisonnant. Que ça avait don’ l’air viril. Sexy. Confiant. Que ça avait don’ l’air de faire beaucoup d’argent. Et c’est là que ça m’a frappé, le double standard. Là que je me suis sentie ridicule et humiliée. Humiliée d’essayer d’avoir l’air jeune devant ce Silver Fox qui, lui, s’assumait.

Ça m’a aussi fait repenser à mon père, qui flashait sa tignasse argentée dans les petites annonces du Soleil : Homme, 55 ans, 5’ 8, cheveux poivre et sel, cherche femme, active, proportionnelle à sa taille (ouin…), amante de la nature, pour taquiner la truite et voir où ça peut nous mener.

Bref, c’est après avoir vu en vrai une chevelure connue que j’ai dit Bye Bye à la teinture. À 38 ans, je faisais déjà une grossesse gériatrique selon le jargon médical, aussi bien jouer mon rôle jusqu’au bout.

Au début, mon coiffeur a un peu tenté de m’en dissuader.
—Si tu veux, je pourrais te mettre un shampoing-teinture à la place. Ça va avoir l’air super naturel.
—Non merci. 
—Ça va se mélanger à tes cheveux pis s’estomper tout doucement.
—Non merci. 
La visite suivante, il m’a offert des produits pour « cheveux matures ». Bon… je ne suis quand même pas rendu au shampoing bleu.

Dans les premiers temps, j’ai souvent ressenti le besoin de dire que j’assumais complètement mes cheveux blancs. (On pourrait même ajouter le besoin de l’écrire.) Comme pour souligner que ce n’était pas par négligence, mais vraiment par choix, oui, oui. Comme pour me convaincre moi-même, quoi.

Il faut dire que dans mon entourage, à part Marie Laberge et Cruella, je n’avais pas grand modèle féminin qui ne cherchait pas à dissimuler sa canitie (le terme officiel pour le « blanchissement des cheveux et des poils qui apparaît avec l’âge »). Au contraire, ma tante Huguette, propriétaire du salon Huguette Coiffure – jadis une institution dans le quartier Duberger-Les Saules – m’avait même réitéré combien cheveux colorés rime avec femme distinguée. À 80 ans, récemment déménagée dans une résidence pour aîné.e.s autonomes, elle me vantait les charmes de l’endroit.
— C’est beau, ça a l’air d’un hôtel… mais oh mon Dieu les têtes blanches. Franchement, t’es à l’hôtel, tsé : tu te forces!

Dans tout ce discours, ce qui m’irrite, c’est surtout le double standard. De façon similaire, quand je révèle aux gens que mon chum a 6 ans et demi de moins que moi (6 et demi, Chéri, pas 7), on me qualifie toujours de cougar. Ça se veut taquin, bien sûr. Mais je ne pense pas que Simon-Olivier Fecteau se fasse taquiner et traiter de Sugar Daddy si jamais sa blonde est un peu plus jeune que lui (aucune idée si c’est le cas).

Alors voilà, je ne dis pas qu’il faut que TOUTES les femmes embrassent leurs cheveux blancs. Je ne dis pas non plus que c’est superficiel de se teindre et que jamais plus je ne le ferai (le retour des mèches auburns pourrait facilement me convaincre). Je dis juste qu’il faut arrêter de les démoniser d’emblée, de dire à tout coup « ark, un cheveu blanc » et de trouver ça anormal, une femme qui vieillit.

Les mentalités changent tranquillement. Sur le tapis rouge de Cannes l’an dernier, Jodie Foster, Caroline de Monaco et Andie MacDowell ont dévoilé leurs cheveux blancs et j’ai trouvé ça rafraîchissant. De mon côté, je pense envoyer ceci au Soleil : Femme, 40 ans, 5’ 6, cheveux poivre et sel, cherche juste un peu d’ouverture d’esprit pour voir où ça peut nous mener.✌🏻

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Comme la fois où j’ai fait des jokes transphobes.

12 août 2020. La journée « J’achète un livre québécois ». Des gens me taguent sur Instagram pour me signifier qu’ils ont acheté mon roman On peut-tu rester amis. Je partage leur publication dans ma story, mi-fière, mi-anxieuse de gosser tout le monde avec ça. Un autre point rouge apparaît dans le bas de mon écran : je suis taguée de nouveau. Pour mon recueil « Comme la fois où », cette fois. Malaise. Je me verse un verre de vin nature, ouvert la veille, déjà fatigué, je m’approche de ma bibliothèque de brocante (j’avais jadis eu la brillante idée d’empiler des boîtes de pommes pour y exhiber mes livres – ouin), j’agrippe le joli objet corail fluo dont le design a été fait par la super Marie-Pier Gilbert (salut MP !) et je me relis. Ouch.

Un peu de mise en contexte avant de continuer. 2011 : célibataire anxieuse en peine d’amour, je me pars un WordPress où je raconte des tranches de vie pour me changer les idées et recevoir de petites tapes dans le dos à l’occasion. Ce laboratoire d’écriture m’aide à passer de conseillère à conceptrice-rédactrice à l’agence où je travaille, un mouvement latéral nécessaire dans mon cas. 2015 : j’invite des auteur.trices que j’admire à composer leur propre « Comme la fois » dans le but d’en publier un recueil papier. Des Fanny Britt, des Simon Boulerice, pour ne nommer que ceux-là. Le tout codirigé avec mon amie que j’admire, Geneviève Jannelle.

Image recueil Comme la fois

Retour au 12 août 2020 : je relis mon récit, avec mon verre oxydé, devant ma bibliothèque de brocante. J’y raconte l’épilation à l’électrolyse de ma lèvre supérieure à l’adolescence, une expérience traumatisante pour moi. Je relis mon récit, donc, et je n’en reviens pas : des jokes transphobes, une de femme à barbe, du poils shaming (je m’excuse @maipoils), c’est à peine si je n’ai pas essayé de puncher sur la moustache à Manon Massé. J’ai honte. Déjà le titre, ça part mal : « Comme la fois où ma tante m’a offert un changement de sexe ». Je demande à mon chum de le relire à son tour pour voir si c’est moi qui exagère. Son constat n’est pas mieux : « Ouin… c’est rough. Si jamais tu te lances en politique, c’est sûr que ça va te rattraper. C’est ton blackface à toi. »

– Faque t’es en train de me dire que je pourrai pas être colistière de AOC en 2024 ?

– Entre autres pour cette raison-là, oui.

Mais mais mais. Mais qu’est-ce qui s’est passé en cinq ans ? J’ai changé ? La société a changé ? Heureusement, me direz-vous. Mais aussi : qu’est-ce que j’ai voulu communiquer au juste à travers cette histoire-là ? La pression sociale ? Le dictat de la mode féminine de devoir ressembler à une enfant prépubère toute sa vie ? Le bullying de polyvalente ? Le désir d’être comme tout le monde à l’adolescence ? La peur de ne jamais être aimée ? Simplement me libérer d’un secret ?

Le lendemain de la lecture fatidique, je suis déprimée, déçue de moi. Je texte un ami qui a lui aussi publié. Il m’avoue avoir volé son propre roman dans ma bibliothèque et dans celle de tous ses proches pour le jeter à la poubelle quand il l’a relu, quelques années plus tard. On a le droit d’être faillible, qu’il me répond. J’ai le droit d’être faillible.

Il paraît que c’est normal de renier « son œuvre » a posteriori. Woody Allen (bon, c’est peut-être pas le meilleur exemple, j’en conclue) a dit ne jamais revoir ses films. Il l’avait fait pour Manhattan et ça l’avait profondément déçu. Plus près de moi, je me souviens avoir eu la conversation avec une amie qui ne comprenait pas pourquoi quelqu’un voudrait revenir sur ce qui ne peut être changé de toute façon. Quand c’est lancé, c’est lancé, on passe à autre chose et that’s it.

Cette expérience de recueil me laisse tout de même un goût amer. Bien sûr, je suis fière des talents recrutés et de leurs récits – là n’est pas la question. Ma déception se situe plus au niveau personnel. Une suite de petites égratignures qui se sont succédées. Mon éditeur qui a oublié mon nom au lancement quand est venu le moment de me présenter. Bon, une mini peine d’égo, on s’en remet. Ma passe pour le Salon du livre de Montréal, où on pouvait lire « Marie-Eve Leclerc-Doyon ». On ne va pas capoter pour quelques lettres de trop et une manquante, hein ? Le sentiment que mon histoire avait déçu mon entourage, malgré quelques félicitations (forcées ?). Ma sœur et une bonne amie qui m’ont avoué, sans s’être concertées, qu’il leur semblait que mon texte était moins bon qu’à l’habitude. L’éditeur qui nous a dit : « Avec le line-up de noms qu’on avait là-dedans, on s’attendait à des meilleures ventes ». Un best-seller au Québec, c’est 3000 copies vendues. Si ma mémoire est bonne, on était environ à la moitié. Tout ça additionné à ma relecture du 12 août et à mon constat que je n’étais donc ben pas woke et sensible à la diversité, en 2015.

Bon. OK. À part peut-être une conférence au Fail Camp, je fais quoi de tout ça ? Être bienveillante envers moi-même ? (Ce qu’une psy me conseillerait probablement.)

Je me rappelle avoir croisé Amir Kadhir au Salon du livre de Montréal, dans la file pour les accréditations. Il m’avait demandé. « Êtes-vous une auteure ? »

– Oui, que j’avais répondu, fière. Vous aussi ?

– Ah, non. Moi j’ai seulement participé à un recueil.

Et c’est peut-être ça la réponse : j’ai seulement participé à un recueil. Faut que j’en revienne.

J’y vois quand même une occasion de me questionner sur mes biais idéologiques. De me rappeler ce brainstorm auquel j’avais pris part pour une marque de restauration rapide. De cette idée que j’avais lancée sans trop l’analyser (WARNING : on se rappelle que dans un brainstorm, il n’y a pas de mauvaises idées) : « On pourrait créer un hot-dog trans. Ce serait un hot-dog fait à partir d’une saucisse de pogo. Parce que le pogo, dans le fond, toute sa vie, il savait qu’il était un hot-dog. » Quelques collègues avaient ri. Pas C. Plus jeune, plus près de la communauté trans, il s’était indigné : « C’est tellement de mauvais goût ». Je n’avais pas compris sa réaction sur le coup.

– On a juste à donner X % des ventes à un organisme trans.

– C’est pas ça le problème. Tu les compares à un pogo. C’est super réducteur de leur combat. C’est à la limite transphobe.

– Ben voyons, je suis pas transphobe.

– C’est pas parce que t’as vu Laurence Anyways que t’es pas transphobe.

Alors avec du recul, oui, mon « Comme la fois » manque de délicatesse, de maturité, en plus d’être ponctué de tentatives maladroites de puncher à tout prix. Bref, mille excuses : je suis coupable de transphobie et de pilophobie (j’ai vérifié, le mot juste est trichophobie : peur des poils et des cheveux). Je vais tâcher d’être meilleure. Mon récit, dans le fond, c’est comme un vin qui a mal vieilli. Mais en très peu de temps. Mon récit, dans le fond, c’est un vin nature.

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Comme la fois où Comme la fois est devenu un recueil.

Le recueil Comme la fois, c’est mon amie Geneviève Jannelle qui en a eu l’idée :

GENEVIÈVE : Eille Marie, c’est pas pire ton affaire de blogue là… « Comme la fois », tu devrais en faire un recueil.

MOI : Ah, tu penses ?

GENEVIÈVE : Oui oui, y’a quelque chose là. Je peux même t’aider à approcher les auteurs, si tu veux.

MOI : Les auteurs ?

GENEVIÈVE : Ben pour écrire dans le recueil.

MOI : Ah, faque ce serait pas juste mes textes ?

GENEVIÈVE : Ben… je pense que ça pourrait être intéressant d’avoir plusieurs plumes, tu trouves pas ?

MOI : Oui oui…

GENEVIÈVE : …

MOI : Mais moi, j’écrirais-tu dans le recueil ?

GENEVIÈVE : Ben oui, t’aurais ton texte.

MOI : Ah. Mon texte. Juste un.

GENEVIÈVE : …

MOI : Pis t’es sûre que ce serait pas plus le fun si c’était juste mes textes?

GENEVIÈVE : Euh… t’écris bien Marie là, mais t’es pas ben ben connue, pis y’a pas mal juste ta mère qui lit ton blogue.

MOI : Ben j’ai eu au moins 35 « like » sur mon dernier texte.

GENEVIÈVE : Si tu le dis.

MOI : …

GENEVIÈVE : …

MOI : OK mais si j’embarque, je vais-tu pouvoir avoir mon texte en premier dans le recueil, au moins ?

GENEVIÈVE : Ben oui.

MOI : Pis ma face en gros sur la couverture ?

GENEVIÈVE : Ben non.
CLF
***
Comme la fois – VLB Éditeur
En librairie.

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Comme la fois où mon ex m’a trahie.

Il s’appelait Billy (nom fictif). On s’était frenché dans un McDo entre deux bouchées de Big Mac. Mon premier french. C’était le spécial 2 pour 1 sur les Big Mac. On s’est pris un spécial chacun.

Mais Billy, c’était un peu un bad boy. Il se faisait souvent renvoyer de l’école. Je me souviens d’une fois où il s’était battu contre Nike (vrai surnom). Le pauvre était étendu dans le corridor et se faisait rouer de coups de poing, sans broncher. Ça lui apprendra à s’habiller en Nike de la tête aux pieds.

Bien entendu, je n’approuvais pas le comportement de Bill’. J’étais pourtant convaincue que je pouvais le sauver. J’avais l’impression d’être la seule à comprendre sa rage intérieure. Et bon, on s’aimait. Il m’avait emprunté ma calculatrice scientifique pour un examen. Quand il me l’a remise, il était écrit JE T’AIME sur l’écran. Pas SOLEIL là, JE T’AIME. Ça ne ment pas ça.

Comme plusieurs gars en 1997, Billy avait les cheveux rasés. Quand je passais mes doigts sur son crâne, c’était super doux. Mais il trouvait que je le flattais trop, justement. «J’suis pas un chien.», qu’il m’a dit une bonne fois. Première chicane de couple.

Et puis un beau jour, il m’a laissée. Au téléphone à part de ça. «Avec mon ex c’était 8/10, qu’il m’a dit, avec toi c’est à peu près 6/10.» Ça faisait une semaine qu’on sortait ensemble; j’ai pris toute l’année scolaire à m’en remettre. Surtout qu’après, il est sorti avec la belle Nadine. Nadine: la fille la plus grande et mince de toute l’école secondaire Les Etchemins. Probablement un ange de Victoria’s Secret aujourd’hui. À côté d’elle, j’avais l’air d’une petite boulotte.

Heureusement pour moi, leur relation n’a pas duré très longtemps. De sorte que quand j’ai organisé un party chez mon père, quelques mois plus tard, j’ai pu inviter Billy. J’ai tellement prié pour qu’il vienne. Toute la soirée, j’ai regardé la porte d’entrée du coin de l’œil en faisant semblant d’écouter les conversations. J’avais pris une heure et demie à me raidir les cheveux au lieu d’une heure ce matin-là. Enfin, il est arrivé.

Je lui ai d’abord offert un verre. Quand j’ai ouvert l’armoire à verres, il a pointé l’une des quatre coupes dorées qui trônaient sur la tablette des invités et m’a demandé si c’était du vrai or. J’ai pris ladite coupe dans mes mains, un genre de Saint Graal qui goûtait le métal quand on y buvait du jus de raisins, et j’ai répondu que oui, juste pour flasher.

Le restant de la soirée a été OK. On a un peu jasé, mais Billy ne m’a pas embrassée. Même pas dans le noir, quand l’un de mes invités a accroché les breakers du sous-sol et que l’électricité a été coupée pendant quelques minutes. Ce n’est que le lendemain que je me suis rendue compte qu’il nous manquait des choses: un livret de talons de chèques, un coupe-papier, un Saint Graal.

Mon père était bien triste: il ne pouvait plus ouvrir ses lettres. Il m’a dit que c’était à moi de décider si je voulais faire une plainte à la police ou non. J’ai pris deux jours pour y réfléchir. Ça m’a finalement pris tout mon courage pour me rendre au poste de Saint-Romuald : je m’en allais trahir celui que j’aimais.

J’ai raconté mon histoire à un policier qui m’a fait remplir des papiers. Il a froncé les sourcils en lisant l’adresse du lieu du crime. J’ai dû lui expliquer que l’infraction s’était passée chez mon père, sur la Rive-Nord, mais que là, j’étais chez ma mère, sur la Rive-Sud. Il a aussitôt déchiré le constat d’un air agacé. Si je voulais encore porter plainte, je devais me rendre au poste de quartier le plus proche de chez mon père et tout recommencer. Stooler Billy une deuxième fois. Pas question qu’ils se parlent entre postes. J’ai laissé faire, bien trop compliqué.

Fuck les parents divorcés.

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Comme la fois où j’ai rencontré Charlie.

J’ai toujours été jalouse des filles qui avaient la capacité de s’émerveiller devant un petit animal. Je parle de ce visage qui s’illumine, de ces cris aigus qui se permettent une sortie et de ses mains qui vont dans tous les sens à la vue de ladite bête. J’ai toujours été jalouse de ces filles. Je l’ai dit à mon amie Marilou.

–  Marilou, j’suis jalouse des filles qui ont la capacité de s’émerveiller devant un p’tit animal. J’ai l’impression de manquer quelque chose.

–  Ben voyons Marie. Toi tu t’émerveilles devant autre chose, c’est tout.

–  Devant quoi par exemple ?

–  Bon, ça m’vient pas là là. Mais c’est sûr qu’y a quelque chose.

Je n’étais pas convaincue. Je me suis pratiquée avec mon aspirateur. Je me suis promenée chez moi et j’ai lâché des hiiiiiiiiiiiii, des onhhhhhhh, et des ahhhhhhh à la vue de l’aspirateur. Rien à faire : il me regardait, stoïque et peu convaincu. J’ai demandé à ma coloc de le cacher dans une pièce pour créer l’effet de surprise. Pas vraiment mieux. Je n’arrivais pas à recréer l’émotion recherchée. J’ai mis un miroir derrière l’aspirateur et y suis allée de mon meilleur « C’est à qui le beau pitou, hein ? C’est à qui ? ». Toujours rien. J’avais beau chercher très loin les étincelles dans mes yeux, je ne les trouvais pas. J’avais les yeux mats.

J’ai abandonné le projet animalier jusqu’à l’automne dernier. Une amie abritait alors chez elle des bébés chats qui avait été abandonnés par leur mère. Et elle me cassait sans cesse la tête avec ses bébés chats. « Là on les a mis dans le bain pis ils se sont tous couchés en boule pis là machin-machin blablabla hahaha, c’était tellement cuuuuute ! » C’était l’automne, il faisait froid, je me suis dit pourquoi pas.

–  Prête-moi donc un bébé chat pour le weekend.

–  Hein ? Toi ? Un bébé chat ?

–  Ben oui. Juste pour le weekend là.

J’ai toujours le bébé chat. Il s’appelle Zoothérapie. Ou plutôt elle. Au début, entre Zoothérapie et moi, c’était l’amour fou. Elle venait me chatouiller les pieds sous les couvertures, ronronner et dormir dans mon cou. Puis, elle est devenue ingrate et indépendante. Elle a commencé à vouloir aller dehors, à préférer ses amis, à ne plus rentrer coucher. J’ai alors cru bon de lui rappeler ses origines pour tenter de rééquilibrer le pouvoir.

« Demande-toi pas pourquoi ta mère t’a abandonnée. Ben oui, elle t’a ABANDONNÉE ta mère. Reviens-en là. Compte toi déjà chanceuse qu’elle t’ait pas mangée. À l’heure qu’il est de toute façon, elle doit être MORTE. Oui oui, MORTE. Faque y te reste juste moi maintenant, tu devrais faire attention. »

Mes menaces n’ont rien changé. Et j’ai peu à peu lâché prise sur Zoothérapie. Puis, Charlie est arrivée dans ma vie. Charlie, c’est un gentil teckel noir à poil court avec des oreilles en pleurote. Et c’est officiellement l’être le plus heureux que je connaisse. Avec Charlie, chaque jour est Noël, chaque promenade est la plus belle chose qui lui soit arrivée, chaque repas est son mets préféré. Hein ? Tu manges des pâtes ? Mais ça tombe bien, J’ADORE ça les pâtes moi !

Charlie est l’être le plus heureux que je connaisse, mais aussi le plus faible. C’est une dépendante affective qui a toujours besoin d’être sur tes genoux, le museau caché dans l’une de tes articulations, à la recherche d’un peu de chaleur humaine. Quand elle te voit mettre tes souliers pour aller travailler, elle commence à trembler et te regarde avec ses petits yeux de Pierrot triste. Je t’en prie ne m’abandonne pas. Je t’en prie ne m’abandonne pas. J’ai pas vraiment fait pipi sur la moquette. Juste quelques gouttes. Des petites gouttes cutes là. Comme moi !  Oui, Charlie est faible, vraiment faible : elle a peur de son ombre, mange ses émotions et ferait n’importe quoi pour être aimée. À côté d’elle, j’ai l’air d’une vieille âme. Elle me fait sentir forte et en indépendante. Elle me fait sentir en contrôle. Elle me fait sentir importante. C’est qu’elle a tant besoin de moi. En fait, Charlie me donne du pouvoir. Elle me donne envie de porter les culottes, elle me donne envie de brasser la cabane, elle me donne envie de porter un foulard à l’intérieur. Charlie me donne envie d’écrire en majuscules ET DE CRIER « C’EST À QUI LE BEAU PITOU, HEIN ? C’EST À QUI ? »

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Comme la fois où ça l’aura valu la peine de pleurer ma vie.

Sur nos quatre joues les larmes coulaient. Comme un bâillement qui en déclenche un autre, mais nous c’était nos larmes qui étaient contagieuses. Elles se crinquaient entre elles, ruisselant à qui mieux mieux. On n’avait pas vraiment le droit de pleurer, faisait beaucoup trop beau pour pleurer, mais on s’en fichait : on pleurait quand même. Assises dans le gazon du parc Claude Jutra, on était inconsolables. Un parc nommé en l’honneur d’un homme qui avait préféré se jeter en bas d’un pont plutôt que de se perdre dans l’oubli. Justement, on avait l’impression de s’être oubliées nous aussi. De s’être perdues au détour d’un corridor d’université et d’avoir continué notre chemin sans jamais se poser de questions. Et là, dans le parc Claude Jutra, ça nous rattrapait. Cette impression d’être complètement perdues. Cette impression de ne pas être sur son X.

Ce jour-là, on a fait le pacte d’être heureuse professionnellement. On a fait le pacte de ne pas être comme ces gens croisés dans l’ascenseur qui nous annoncent un « Plus que trois jours avant le weekend ! » le mardi matin. Peu après, je suis devenue conceptrice-rédactrice alors que mon amie est courageusement retournée à l’école. Je ne me tannerai jamais de lui dire à quel point je suis fière d’elle. Je suis tellement fière de toi. Quand elle me raconte sa nouvelle vie, je suis convaincue qu’elle a fait le bon choix. J’ai voulu lui rendre hommage en soumettant l’une de ses histoires au Prix du récit Radio-Canada. Mon texte a été retenu dans les cinq finalistes. Oui, je crois qu’on a fait le bon choix.

http://www.radio-canada.ca/nouvelles/arts_et_spectacles/2013/07/08/006-chambrecinq-marieeve-leclercdion-recit-2013.shtml

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Comme la fois où j’ai fait une pluie de rires.

Quand j’ai décidé d’aller en Inde, ce n’était pas tant pour le caractère spirituel de la chose. Pas question d’astiquer le plancher d’un ashram ni d’y faire vœu de silence. Je pouvais bien promettre de ne pas parler lorsqu’il y aurait du pain naan sur la table mais c’était pas mal le seul vœu de silence dont j’étais capable. Pas très poli de parler la bouche pleine de toute façon. Malgré qu’en Inde, roter ne froisse personne alors va savoir.

Mais non, pas tant un voyage de spiritualité que ça. Pas un voyage d’où l’on revient transformé, où l’on met ensuite une vache sacrée comme fond d’écran et un namaste à même sa signature courriel. Mais quand j’ai vu la petite annonce « Yoga class for 100 Rupees per hour » sur le babillard de notre hôtel, je dois avouer que mes chakras ont un peu vibré. Faire du yoga au pays du yoga : il y avait comme quelque chose qui sonnait bien là-dedans.

Je n’ai jamais su le nom de notre maître yogi mais appelons-le Monsieur Singh, l’un des noms les plus communs de l’Inde. Ça signifie lion en sanscrit. Enchantée Monsieur Lion. Monsieur Lion n’avait que deux étudiantes : Geneviève et moi. À 100 roupies par personne, soit 2 $ chacune, il allait pouvoir arrondir sa fin de mois d’un gros 4 $. Oh yeah. Tournée de papadums pour tout le monde.

Petit homme, 5’ 4’’, cheveux grisonnants, vêtements bruns, vêtements amples, monsieur Lion devait avoir une cinquantaine d’années dans le corps dont trente comme yogi. Il portait de petites lunettes rectangulaires aux contours transparents un peu jaunis par la vie qui lui donnait un air hipster, bien malgré lui.

– We gonna do yoga today but we gonna do it real slow. Slowly slowly.

C’est dans un anglais au fort accent indien qu’il nous annonça comment aller se dérouler la séance.

– We gonna take our left arm and we gonna put it on our right feet. Slowly slowly.

Monsieur Lion nous donna ensuite chacune de ses indications d’une voix douce et articulée.

– And now, we gonna take our right arm and we gonna put it on our left feet. Slowly slowly.

En terminant toutes ses phrases par « slowly slowly ».

– Now we gonna stretch our two arms above our head. Slowly slowly. We gonna stretch more. And more. And more. Enough. ENOUGH !

Parfois, il haussait subitement le ton, comme pour réaffirmer son autorité.

– Now, if you want, we gonna do a rain.

À la fin du cours, monsieur Lion nous fit une proposition qui fut dure à refuser.

– We gonna do a rain of laugh. And we gonna do it by showing each other how happy we are. I gonna show you how happy I am and you gonna show me how happy you are and you gonna show each other too.

Je me voyais mal lui dire que je n’avais pas vraiment envie de faire une pluie de rires. Ça ne se dit comme pas.

– Hahahahahahahahahahahahahahahaha.

Et alors il commença ladite pluie.

– Hahahahahahahahahahahahahahahaha.

Je fis donc comme lui.

– Hahahahahahahahahahahahahahahaha.

Et Geneviève nous imita.

– Hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha.

Nous avons ri pendant un bon quatre minutes à se regarder les trois dans le blanc des dents. Un rire forcé qui finissait par être vrai. Un rire contagieux. Un rire qui réussissait toujours à trouver son deuxième souffle. Un rire qui décrochait de son rôle de temps en temps, juste parce qu’il avait trop conscience d’être en train de rire. Il devenait alors plus vrai, plus naturel. À un certain moment, je ne savais même plus pourquoi je riais. Je ne savais plus si c’était parce que je me trouvais ridicule, ou parce que le rire de monsieur Lion me faisait rire ou simplement pour alimenter la pluie. Mais bon, j’ai ri comme si c’était ma job et ça ne m’a coûté que 2 $.

Je ne suis pas maître yogi mais je pense avoir un certain don pour la pluie de rires alors je me propose de l’enseigner gratuitement à quiconque a un lundi pluvieux. Pour les plus récalcitrants, je vous promets qu’on va faire ça tout en douceur. On va y aller, slowly slowly.

Namaste.

– Maître Leclerc-Lion

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Comme la fois où je me croyais irrésistible.

Une fois par année, pendant environ une semaine, je ne sais pas trop ce qu’il se passe. Mais une fois par année, pendant environ une semaine, il se passe quelque chose c’est sûr. Probablement un débalancement hormonal, une hausse de sérotonine, une poussée de confiance en soi ou deux fils qui se touchent dans mon cerveau, mais il y a quelque chose à quelque part qui fait que tout d’un coup, je me sens irrésistible. Ouin.

C’est comme si mon égo était soudainement gonflé à l’hélium : il flotte au-dessus de tout le monde. Et du coup, j’ai l’impression que tous les hommes que je côtoie ou croise, ont un kick sur moi. Gros statement, je sais. Mais ça reste que pendant cettedite semaine, je vois des signes de mon charme partout. Et chaque petite parole, petit sourire ou petite gentillesse, je prends ça pour du cash :

  • Le joggeur qui me salue au parc La Fontaine.
  • Mon vieux comptable de 70 ans qui aimerait qu’on skype pour parler de mes impôts.
  • Le chauffeur de taxi haïtien qui me demande si j’ai déjà eu un chum haïtien.
  • Le fils de mon amie qui me trouve vraiment cool pour mon âge.
  • Le père de mon amie qui me trouve vraiment mature pour mon âge.
  • La joggeuse qui me salue au parc La Fontaine.
  • Mon boss qui m’approuve un concept (allô Marc).
  • Le photographe qui m’ajoute sur Facebook (allô Raphaël).
  • Mon prof de yoga qui me replace pendant ma posture du Dog machin… Doggy Style Facing Dog… ah oui c’est ça : Downward Facing Dog.

OK je le sais, je charrie. Mais reste que pendant cette fameuse semaine, appelons-la La semaine de la confiance en soi MD, y’a quand même certains signes qui me font penser que j’ai peut-être réellement une aura spéciale. Le médecin de la clinique du sans rendez-vous par exemple, Dr Potvin. Cinquantaine avancée, sarrau blanc, ben occupé, pas le temps de niaiser.

–       Désolé, j’peux malheureusement pas vous prendre dans mes clients réguliers, Mademoiselle.

–       Ah non. C’est parce que ça m’rassurerait vraiment d’avoir un médecin de famille. On a une génétique bizarre dans ma famille. Je vous avais dit que mon père était … mort ?

–       Ah. Non. De quoi ?

–       Méningite.

–       Bon…

–       Faites-vous des examens gynécologiques vous ?

–       Oui.

–       Ah, nice ! Pourriez-vous m’en faire un là là ? Ça fait longtemps y me semble.

–       Euh, oui oui, j’vais prendre le temps. Allongez-vous sur le dos et mettez les pieds dans les étriers. Attention, ça va être froid. Quand je pèse là est-ce que ça fait mal ?

–       Non.

–       Pis là ?

–       Non.

–       Là ?

–       Non.

–       Là ?

–       Ouch !

–       Quand je pèse là ça vous fait mal ?

–       Non mais j’me suis mordue la joue avec ma gomme. Pouvez-vous regarder si ça saigne ?

–       Bon, rhabillez-vous et remplissez ce formulaire-là svp.

–       Hein ? C’pourquoi ?

–       Devenir une de mes clientes régulières.

Euh, allô-ô ? Je ne sais pas pour vous mais pour moi ça ne ment pas. Dr Potvin qui m’ajoute comme cliente juste après un examen gynécologique : il veut me revoir, c’est clair. Ou plutôt la revoir. Toujours est-il que des histoires comme ça, ça n’aide en rien mon égo à redescendre sur terre. Ça lui donne le goût de se rapprocher encore plus du soleil même. Et ça me pousse à faire des moves qui n’ont pas de bon sens. Des moves casse-cous. Aller harceler Alec Baldwin chez lui, genre. Ou me trouver une proie dans mon entourage.

Je commence par aller stalker ses photos Facebook. Incognito, bien dans ma peau. Après ça, je lui écris. Un beau gros message bien punché, avec des jokes absurdes aux trois mots, que moi seule comprends. Par politesse, il me répond cinq mots. Pas grave. Je suranalyse sa réponse. Je lis entre les lignes. Je m’arrange pour y trouver du positif. Je chronomètre le nombre de minutes avant de lui répondre. Je stalke ses photos Facebook une deuxième fois en attendant. Et je lui réponds. Cinq lignes genre. Verbomotrice de même la fille. J’en ai des choses à dire quand même. Pis cinq mots, pour montrer qu’on est une fille drôle qui est capable de puncher, c’est pas beaucoup. Je fais aussi un itinéraire de ses déplacements. J’imprime des Google Maps que je colle sur le mur et j’y mets des punaises de couleur avec des fils qui les relient. Appelez-moi Carrie Mathison. Ensuite, je fais des refresh pour voir s’il m’a répondu et je stalke encore ses photos Facebook en attendant. Jusqu’à ce que je vois passer un statut qui dit « Find out who’s viewing your Facebook profile !!! »

Fuck.

Là je panique. Je stresse. Je pense sérieusement à fermer mon compte Facebook. Je fais de l’anxiété. De l’angoisse. De l’insomnie. Je mange pu. Je mange trop. Je retourne voir Dr Potvin. Il me fait un examen gynécologique. Et là, je suis sauvée. Voilà, c’est dit.

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Comme la fois où j’ai commencé l’année du bon pied. – La suite.

451px-Hospital_signJe n’ai malheureusement aucun ami médecin, mais quand il est question de savoir si je devrais en consulter un pour ma blessure à la cheville, tous mes amis ont leur mot à dire.

« C’est juste une entorse. Ils peuvent rien faire à l’hôpital. Ils vont juste te dire de mettre d’la glace. »

« Aye fille, on n’est pu dans l’temps d’Ovila Pronovost où on faisait juste mettre d’la glace là. Vas voir un médecin pis ça presse. »

« Vas-y pas j’te dis: tu vas perdre ta journée pis tu vas pogner la grippe et/ou la gastro. »

« Ischhh. Ça t’inquiètes pas qu’elle soit aussi bleue et enflée ? »

« Pour vrai si c’était cassé, t’aurais ben plus mal que ça. Tu hurlerais tout l’temps. Tu hurlerais jour et nuit. »

Après une semaine à peser les pour et les contre, je décide finalement de me rendre au sans rendez-vous. La clinique ouvre à 7h00. J’arrive à 6h30. Une vingtaine de personnes sont déjà devant moi. Moi j’ai pris ma douche au moins. Je me range à la fin de la file mais me sens soudainement observée: on me fusille du regard; certains me mitraillent même. Je me rends sur-le-champs et me dirige vers la vraie fin de la file. Jamais été très bonne pour lire les files. Un homme prend place derrière moi. Il porte un polar vert forêt avec des chevreuils. Il me dévisage de la béquille droite à la béquille gauche. Puis de la gauche à la droite.

– Allez don vous asseoir là-bas ma pauvre fille, m’ordonne-t-il. Je vais garder votre place pour vous.

– Ahhh, no non, c’est beau. C’est bien gentil mais je suis correcte pour…

– ALLEZ VOUS ASSEOIR, J’AI DIT. L’expression « Premier servi, premier servi. » ça ne s’applique pas à vous.

J’obéis et vais m’asseoir. À toutes les dix minutes, Polar de chevreuils me fait des thumbs up pour me signifier qu’il a la situation bien en main.

Je vois finalement le médecin à 9h30. Il m’envoie passer des radiographies dans le même édifice. Attends en radiographie, passe les radiographies, attends le résultat des radiographies, retourne voir le médecin avec mes résultats. Il est finalement 11h30 lorsque j’entends mon nom.

– Votre calvaire n’est pas fini malheureusement, me dit le médecin. Vous avez le péroné fracturé. Vous devez aller à l’urgence de Notre-Dame pour vous faire faire un plâtre.

– Fuck. Est-ce que ça peut attendre à demain vous croyez ?

– C’est beau Mademoiselle, vous avez prouvé votre point : vous êtes une p’tite tough. Maintenant, arrêtez de niaiser pis rendez vous à l’urgence.

– Pis mettons que j’y vais ce soir ?

– Tout de suite, j’ai dit.

Le lendemain matin, je me rends à l’urgence. J’arrive à 7h00. Je m’apporte même un lunch au cas où. Il y a seulement une patiente devant moi. Yeah. Une rousse qui a la varicelle. Comme si ses taches de rousseur avaient éclos.

En attendant mon tour, j’écoute la conversation des gardiens de sécurité.

GARDIEN 1 : As-tu vu le nouveau clip de Corneille ?

GARDIEN 2 DE RACE NOIRE : Ben oui, Corneille c’est mon frère.

GARDIEN 1: Arrête de niaiser man, c’pas ton frère.

GARDIEN 2 DE RACE NOIRE: Jt’el jure, c’est mon bro.

Un nouveau patient arrive dans la salle d’attente. Il est gros et gémit sans cesse. Vraiment gossant.

Une nouvelle patiente arrive dans la salle d’attente. Elle n’est pas grosse mais gémit sans cesse. Elle le fait de façon très érotique : chaque fois qu’elle gémit, on dirait qu’elle jouit. Parfois, entre deux gémissements, elle vomit. Je ne me sens pas bien.

Je commence à voir un pattern s’installer à l’urgence : les gens gémissent pour passer plus vite. Je me pratique à gémir dans ma tête. Ce n’est pas très convaincant.

Je vois finalement l’urgentologue.

« Votre fracture tombe dans une zone grise, me dit-elle. Pas assez sévère pour un plâtre blanc, mais trop sévère pour une botte de marche. Je vais devoir envoyer vos radios à L’Hôtel-Dieu pour avoir l’avis d’un spécialiste. »

Je retourne m’asseoir dans la salle d’attente.

Un nouvel homme arrive à l’urgence. Il a un regard perçant. Le frère de Corneille lui demande de se présenter au triage. « C’est parce que j’pense que j’connais quelqu’un ici, lui dit Regard perçant. J’vais aller le saluer avant le triage. »

Regard perçant s’assoit à côté du gros gémisseur arrivé plus tôt. Ils se parlent tout bas. C’est louche.

Gros gémisseur se lève ensuite pour s’adresser à la réceptionniste :
– J’veux juste être sûr que y’ont pas nommé mon nom : Pierre Carrier (nom fictif).

– Répétez-moi votre nom svp ?, lui demande la réceptionniste qui a mal entendu.
– Luc Carrier (nom fictif aussi).

Ok, c’est vraiment louche. J’essaie de détourner mon attention de Regard perçant et de Gros gémisseur aka Pierre/Luc Carrier. Ils me font peur. Je me rabats sur la conversation d’une mère et de sa fille.

MÈRE : C’est quoi donc l’autre film québécois qui est nominé aux Oscars ?

FILLE : Hobbit Nguyen.

Un nouvel homme entre à l’urgence. Il est grand et porte une casquette sur laquelle il est écrit Feeling Lucky. Il va s’asseoir à côté de Regard Perçant et de Pierre/Luc Carrier. Les trois se connaissent. Ils ont vraiment l’air de tramer quelque chose. L’idée me traverse que ce sont peut-être des terroristes. Je la chasse aussitôt. Je me dis que dans le pire des cas, le frère de Corneille pourra me défendre.

Regard perçant s’adresse ensuite à moi; il me demande s’il peut emprunter mon téléphone pour appeler la RAMQ. Je n’ai pas le courage de refuser. Mon facteur fun est à 1 sur 10.

Arrive 12h30. Mon lunch est mangé depuis 10h30. J’ai faim. Ça fait cinq heures et demie que j’attends. Il y a trois terroristes assis devant moi. L’un d’eux a probablement activé une bombe à l’aide de mon téléphone. Je n’en peux juste plus. J’enfourche mes béquilles et retourne voir l’urgentologue.

– J’ai repensé à ça pis ça ne me dérange vraiment pas que vous me donniez le plus gros plâtre, lui dis-je avec la voix piteuse et les yeux plein d’eau. Pas besoin d’attendre l’avis de votre collègue.

– Je ne vais pas vous immobiliser et vous faire courir le risque d’une phlébite et d’une embolie pulmonaire si vous en avez pas besoin, me répond-elle. Mon collègue m’a rappelée mais il veut avoir l’avis de son boss. Ça devrait plus être très long.

Je retourne les béquilles basses dans la salle d’attente. Juste à temps pour entendre une vieille dame demander à Feeling Lucky s’il est un policier. Elle doit le trouver louche elle aussi.

L’urgentologue me rappelle une heure plus tard. Le verdict : un entre-deux, soit un plâtre synthétique bleu, muni d’une sandale à velcro Acu-Massage. De toute beauté.

En rentrant chez moi, j’ai la meilleure idée du monde : recomposer le dernier numéro de mon téléphone pour savoir qui Regard perçant a appelé. Le genre d’info qui va certainement aider les policiers dans leur enquête concernant la bombe. Je recompose. J’attends. Une voix de femme me répond : « Bienvenue à la Régie de l’assurance maladie du Québec. Si vous connaissez le poste de la personne que vous voulez joindre, composez-le maintenant. »

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Comme la fois où j’ai commencé l’année du bon pied.

3 janvier. Pu capable des vacances. Suis rendue trop zen. Besoin d’un peu d’action. J’ai écouté la saison 1 d’Unité 9 deux fois déjà. Je les envie presque les prisonnières. Y’a l’air à se passer plein de choses en dedans.

Hâte de retourner travailler. Le bureau ouvre officiellement le 7 janvier mais besoin d’une équipe aujourd’hui pour dépanner certains clients. Moi moi moi ! Je mets mon cadran pour 7h00. Je me réveille par moi-même à 6h00. Party. J’ai l’impression que c’est Noël. Ok, je me calme.

Je me prépare. Je me mets même du mascara. Je prépare mon kit de yoga. Je me fais un lunch santé. Vivement les bonnes résolutions de 2013. Je sors de chez moi. Mes voisins ont sorti leur recyclage. Ah ben oui, c’est aujourd’hui ça. Maudit que c’est l’fun sortir son recyclage. Je retourne chez moi. Je ramasse tout ce qui traîne et qui pourrait ressembler à du recyclage. Je l’ajoute au tas déjà entamé sous l’évier. Je lis les grands titres du journal en vitesse pour pouvoir l’ajouter lui aussi. J’aime que mes sacs de recyclage soient bien remplis. Pas de perte d’espace. Je prends un grand sac transparent et le remplis dudit tas. C’est le dernier sac de la boîte de sacs. Je peux donc mettre la boîte du sac de recyclage dans le recyclage. Wow. J’ai l’impression que j’ai le droit de faire un vœu. Eh que l’année commence bien.

Je marche tranquillement vers le métro. Je ne mets pas mes écouteurs ce matin. J’ai le goût d’être en contact avec mon voisinage. J’ai le goût d’être en contact avec mon quartier, avec mon présent, avec ma vie. Je souris au gars qui fume une cigarette devant l’épicerie. C’est pas grave, tu te reprendras en 2014. Un automobiliste me laisse traverser la rue. Je lui fais un signe de la main. Je continue ma route. Les trottoirs sont glacés. Je redouble de prudence. Badabing badabang. Pas assez finalement. Je suis étalée sur le sol. Ma cheville me fait mal. Pleure pas. Pleure pas. Pleure pas. Bouhouhou. Je pleure comme un fantôme.

Je suis toujours par terre. Pas capable de me relever. Pas envie. Je vois mon hiver défiler devant moi. Je me vois en train d’écouter la saison 1 d’Unité 9 pour une troisième fois. Me dire qu’elles sont chanceuses les filles de Lietteville parce qu’au moins elles peuvent marcher, elles. Je me vois ne plus être capable de sortir de chez moi. Passer mes weekends à manger des crottes de fromage. Ne plus avoir de crottes de fromage mais ne pas être capable d’aller en racheter à l’épicerie. Chercher dans les craques du divan pour voir s’il n’en resterait pas. Me commander des leggings en ligne sur le site d’Addition Elle.

– Êtes-vous correcte Madame ?, me demande un passant.

– Haha. Oui oui merci.

Dès qu’il a le dos tourné je recommence à pleurer. C’est sûr que ma cheville est brisée. Soit foulée, fêlée, cassée, fracturée, fractionnée, déchirée, ou déligamentée. C’est pas clair. Je réussis finalement à me relever. Je sautille jusque chez moi en pleurant. Les trottoirs ne sont pas encore déblayés sur ma rue. J’ai zéro fun. Mon mascara a coulé. Quand je croise des gens je pleure encore plus fort pour qu’ils comprennent que ça fait vraiment mal. Ils m’ignorent. J’arrive devant chez moi. Je m’effondre sur les marches de l’entrée. À bout de bras, j’essaie de débarrer la porte. Je tourne la clé. À droite. À gauche. À droite. Je ne sais plus. Je finis par y arriver. J’entre chez moi en rampant. En oubliant la clé dans la serrure extérieure. Une amie charitable qui m’amènera de la soupe plus tard dans la journée me le fera remarquer. Bof. Tant qu’à être blessée, aussi bien se faire voler aussi.

Ma cheville enfle. Je pourrais jouer dans C’est à ton tour Laura Cadieux. Je profite du fait que je pleure encore pour appeler mon collègue. Je prends toute la sympathie que je peux avoir.

– Math ? Bouhouhou. Je pourrai pas rentrer aujourd’hui. Bouhouhou. Je me suis fractionnée la cheville. Bouhouhou. Je vais avoir besoin de béquilles.

Je raccroche. J’arrête de pleurer. Je sautille jusqu’au garde-manger. Je m’ouvre un sac de crottes de fromage et je me start un épisode d’Unité 9.

Bonne année là.

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