J’ai toujours été jalouse des filles qui avaient la capacité de s’émerveiller devant un petit animal. Je parle de ce visage qui s’illumine, de ces cris aigus qui se permettent une sortie et de ses mains qui vont dans tous les sens à la vue de ladite bête. J’ai toujours été jalouse de ces filles. Je l’ai dit à mon amie Marilou.
– Marilou, j’suis jalouse des filles qui ont la capacité de s’émerveiller devant un p’tit animal. J’ai l’impression de manquer quelque chose.
– Ben voyons Marie. Toi tu t’émerveilles devant autre chose, c’est tout.
– Devant quoi par exemple ?
– Bon, ça m’vient pas là là. Mais c’est sûr qu’y a quelque chose.
Je n’étais pas convaincue. Je me suis pratiquée avec mon aspirateur. Je me suis promenée chez moi et j’ai lâché des hiiiiiiiiiiiii, des onhhhhhhh, et des ahhhhhhh à la vue de l’aspirateur. Rien à faire : il me regardait, stoïque et peu convaincu. J’ai demandé à ma coloc de le cacher dans une pièce pour créer l’effet de surprise. Pas vraiment mieux. Je n’arrivais pas à recréer l’émotion recherchée. J’ai mis un miroir derrière l’aspirateur et y suis allée de mon meilleur « C’est à qui le beau pitou, hein ? C’est à qui ? ». Toujours rien. J’avais beau chercher très loin les étincelles dans mes yeux, je ne les trouvais pas. J’avais les yeux mats.
J’ai abandonné le projet animalier jusqu’à l’automne dernier. Une amie abritait alors chez elle des bébés chats qui avait été abandonnés par leur mère. Et elle me cassait sans cesse la tête avec ses bébés chats. « Là on les a mis dans le bain pis ils se sont tous couchés en boule pis là machin-machin blablabla hahaha, c’était tellement cuuuuute ! » C’était l’automne, il faisait froid, je me suis dit pourquoi pas.
– Prête-moi donc un bébé chat pour le weekend.
– Hein ? Toi ? Un bébé chat ?
– Ben oui. Juste pour le weekend là.
J’ai toujours le bébé chat. Il s’appelle Zoothérapie. Ou plutôt elle. Au début, entre Zoothérapie et moi, c’était l’amour fou. Elle venait me chatouiller les pieds sous les couvertures, ronronner et dormir dans mon cou. Puis, elle est devenue ingrate et indépendante. Elle a commencé à vouloir aller dehors, à préférer ses amis, à ne plus rentrer coucher. J’ai alors cru bon de lui rappeler ses origines pour tenter de rééquilibrer le pouvoir.
« Demande-toi pas pourquoi ta mère t’a abandonnée. Ben oui, elle t’a ABANDONNÉE ta mère. Reviens-en là. Compte toi déjà chanceuse qu’elle t’ait pas mangée. À l’heure qu’il est de toute façon, elle doit être MORTE. Oui oui, MORTE. Faque y te reste juste moi maintenant, tu devrais faire attention. »
Mes menaces n’ont rien changé. Et j’ai peu à peu lâché prise sur Zoothérapie. Puis, Charlie est arrivée dans ma vie. Charlie, c’est un gentil teckel noir à poil court avec des oreilles en pleurote. Et c’est officiellement l’être le plus heureux que je connaisse. Avec Charlie, chaque jour est Noël, chaque promenade est la plus belle chose qui lui soit arrivée, chaque repas est son mets préféré. Hein ? Tu manges des pâtes ? Mais ça tombe bien, J’ADORE ça les pâtes moi !
Charlie est l’être le plus heureux que je connaisse, mais aussi le plus faible. C’est une dépendante affective qui a toujours besoin d’être sur tes genoux, le museau caché dans l’une de tes articulations, à la recherche d’un peu de chaleur humaine. Quand elle te voit mettre tes souliers pour aller travailler, elle commence à trembler et te regarde avec ses petits yeux de Pierrot triste. Je t’en prie ne m’abandonne pas. Je t’en prie ne m’abandonne pas. J’ai pas vraiment fait pipi sur la moquette. Juste quelques gouttes. Des petites gouttes cutes là. Comme moi ! Oui, Charlie est faible, vraiment faible : elle a peur de son ombre, mange ses émotions et ferait n’importe quoi pour être aimée. À côté d’elle, j’ai l’air d’une vieille âme. Elle me fait sentir forte et en indépendante. Elle me fait sentir en contrôle. Elle me fait sentir importante. C’est qu’elle a tant besoin de moi. En fait, Charlie me donne du pouvoir. Elle me donne envie de porter les culottes, elle me donne envie de brasser la cabane, elle me donne envie de porter un foulard à l’intérieur. Charlie me donne envie d’écrire en majuscules ET DE CRIER « C’EST À QUI LE BEAU PITOU, HEIN ? C’EST À QUI ? »