Comme la fois où j’ai pensé que mon fils avait une mauvaise âme.

C’est vers l’âge de deux ans et demi que mon fils, jusqu’ici doux et contemplatif, est devenu subitement intense. Mais vrai-ment intense. Tout et son contraire déclenchaient chez lui des colères : le bruit du moulin à café, le soleil (oui, oui : juste le soleil – un enfant qui n’aime pas le beau temps), se faire toucher par des mains mouillées, une doudou trop chaude (qu’on devait mettre au congélateur), un bain pas assez froid (lire ici glacial), et à chaque nouvelle paire de chaussettes, chaussures, manteaux, tuques, cache-cous, etc. (parce qu’on achetait dorénavant tout en paires pour se donner plus d’options). 

On ne pouvait pas non plus ouvrir la porte du réfrigérateur sans déclencher chez lui un réel réflexe nauséeux. BROUAAAAAAH! (J’exagère même pas.) L’heure des repas, déjà difficile pour les jeunes papilles, ne nous épargnait pas non plus. Il raffolait du Kraft Diner, mais on devait faire bien attention à notre dosage poudre-lait-beurre et ne jamais oser lui en servir un restant. Il aimait les croquettes de poulet en forme d’animaux de la marque St-Hubert, mais pas les croquettes de poulet en forme d’animaux de la marque Sélection (les Pouletosaure). Bref, la fine bouche de monsieur ne nous donnait pas grand répit.

Outre ses petits TOC physiques, ce qu’on trouvait le plus pénible, voire le plus déroutant, était son tempérament chialeux. On ne comprenait pas comment – avec deux parents si positifs, si hop la vie, si « verre à moitié plein » – cet enfant pouvait être autant grincheux. Déjà, au réveil, les premiers sons qui sortaient de sa bouche étaient des lamentations. Inhhhhhhhhhhhhhh. Être heureux, c’est pourtant une décision qui se prend chaque matin, non? (n’essayez jamais de dire ça à un deux ans et demi, je confirme que c’est vain). Notre rabat-joie ne voulait jamais rien faire, jamais s’habiller, jamais sortir de la maison et il grognait après nos invité.es quand on se risquait à recevoir.

Je me souviens d’une visite de mes beaux-parents. Ils avaient fait un aller-retour Sherbrooke-Montréal pour le voir et leur passage n’avait été qu’une interminable crise. Je me souviens de l’inquiétude dans leur regard. De leurs yeux qui disaient « Il n’est pas normal. Il y a quelque chose qui cloche chez lui, c’est sûr. » J’en étais presque venue à le croire moi aussi.
– Peut-être qu’il a une mauvaise âme ou un genre de mal de vivre?, avais-je émis comme hypothèse à mon amoureux.
– J’sais pas, mais ostie que nos weekend c’est d’la marde en ce moment, qu’il m’avait répondu, particulièrement déprimé cette journée-là.
C’est vrai que l’ambiance à la maison était devenue très ordinaire. On marchait sur des œufs et il n’y avait pas beaucoup de place pour le plaisir. Quand il était en crise – soit 80 % du temps – notre fils n’acceptait ni qu’on le touche, ni qu’on le réconforte; il fallait attendre que ça passe. 

Après avoir googlé ses symptômes (« doudou congélateur pouletosaure crise »), j’ai rapidement découvert qu’il était hypersensible, soit que ses cinq sens captaient les stimuli de son environnement de manière plus prononcée et plus rapide que la moyenne. Comme si son cerveau n’arrivait pas à tout filtrer. Résultat : il était vite submergé par des trop-pleins d’émotions, de bruits, d’odeurs, de textures, de saveurs, etc. Notre petit sensible était constamment heurté par la vie – par son intensité – et n’avait pas la maturité ni les mots pour nous le communiquer. Et je le dis haut et fort : il n’y avait rien qui « clochait » chez lui – l’hypersensibilité n’étant pas un trouble du DSM-5, mais bien un fonctionnement neuroatypique partagé par au moins 15 à 20 % de la population.

Pour mieux l’accompagner, je me suis alors mise à lire tout ce que je trouvais sur le sujet. C’est là que j’ai découvert les nombreuses forces des hypersensibles, comme leur sens de l’observation, leur empathie et leur intuition, en plus de leurs sens aiguisés qui pourront un jour leur servir dans leurs loisirs et leur profession. En écrivant Lucien supersensible, un album illustré par la talentueuse Anne-Julie Dudemaine, j’ai voulu dédramatiser les irritants liés à l’hypersensibilité avec humour (l’humour étant ce qui fonctionne le mieux pour sortir mon fils de ses crises) et les transformer en points positifs. Pour que les enfants sensibles de ce monde se reconnaissent et se sentent valorisé.es. Quand je l’ai lu à mon garçon de maintenant six ans, la première fois, j’ai vu ses petits yeux s’illuminer : « Maman, c’est comme moi! » Oui, mon cœur, c’est comme toi. Embrasse ta sensibilité. Apprivoise tes superpouvoirs. Car le monde en a bien besoin.

Lucien supersensible

Mon fils n’a pas une mauvaise âme, il a la plus belle âme qui soit. C’est un garçon profond, doux, curieux, empathique, hyperconscient du monde qui l’entoure, parfois apeuré par sa complexité aussi – je dois avouer que je le comprends. Parce qu’on ne va pas se mentir : l’hypersensibilité serait en partie génétique. Et en y repensant bien, mon fils n’est pas tombé très loin de l’arbre. Moi non plus je ne ne trippe pas tant sur les Pouletosaure.

Quelques ressources qui m’ont aidée : 
Mon enfant est hautement sensible de la psychologue et chercheure Elaine Aron.
Mon enfant est hyper de la neuropsy Cathy Assenheim.
– Les mini-formations des spécialistes de Coeur en tête.
– Une évaluation sensorielle en ergothérapie.
– Du coaching parental avec une psychologue pour enfant.

Lucien supersensible est publié chez Québec Amérique sous la direction littéraire de Stéphanie Durand.

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