Comme la fois où j’ai décidé d’assumer mes cheveux blancs.

« Ark, un cheveu blanc » – c’est la phrase d’une collègue, début trentaine, à la vue de son reflet dans l’ascenseur, aka le Palais des glaces, du Balfour rue Saint-Laurent. Cette phrase si souvent entendue de la bouche de femmes de mon entourage. Cette phrase que j’ai moi-même prononcée.

Au début, on les arrache. Et puis très vite on se rend compte qu’en repoussant, ça fait l’effet porc-épic : t’as encore des cheveux blancs, mais plus courts – une petite couronne piquante. Alors tu décides de les teindre. Pour toujours. Ou jusqu’à ce que tu aies des petits-enfants ou du moins que tu sois assez vieille pour arborer le parfait chignon de Grand-Mère dans les Passe-Partout OG. 

Perso, j’ai arrêté de me teindre pour plusieurs raisons : je trouvais ça looooooong; je trouvais ça cheeeeeer; je trouvais ça jamais de la bonne couleur. 

Perso, j’ai arrêté de me teindre pour une raison. Un événement, plutôt. Enceinte jusqu’au cou, j’ai voulu faire teindre ma repousse, question d’être belle pour l’arrivée du bébé. Je me suis donc rendue chez mon coiffeur cool & cher, qui n’est pas David D’Amours, mais presque. Alors que j’attendais que la teinture pogne avec mon gros ventre et ma face de rétention d’eau, Simon-Olivier Fecteau est entré dans le salon et s’est assis sur la chaise voisine pour « une p’tite coupe ». On se connaît un peu; à mon grand désarroi, il m’a reconnu malgré ma racine bien beurrée et ma cape gothique. « Salut Beetlejuice! », qu’il m’a dit. (Ben non, il ne m’a pas dit ça. Il m’a juste salué poliment.) Et pendant qu’il balayait son crâne de la main pour expliquer au Cool & Cher les subtilités de son cuir chevelu, je l’ai observé du coin de l’œil. J’ai remarqué ses cheveux blancs. Et je me suis dit que c’était don’ beau, un homme grisonnant. Que ça avait don’ l’air viril. Sexy. Confiant. Que ça avait don’ l’air de faire beaucoup d’argent. Et c’est là que ça m’a frappé, le double standard. Là que je me suis sentie ridicule et humiliée. Humiliée d’essayer d’avoir l’air jeune devant ce Silver Fox qui, lui, s’assumait.

Ça m’a aussi fait repenser à mon père, qui flashait sa tignasse argentée dans les petites annonces du Soleil : Homme, 55 ans, 5’ 8, cheveux poivre et sel, cherche femme, active, proportionnelle à sa taille (ouin…), amante de la nature, pour taquiner la truite et voir où ça peut nous mener.

Bref, c’est après avoir vu en vrai une chevelure connue que j’ai dit Bye Bye à la teinture. À 38 ans, je faisais déjà une grossesse gériatrique selon le jargon médical, aussi bien jouer mon rôle jusqu’au bout.

Au début, mon coiffeur a un peu tenté de m’en dissuader.
—Si tu veux, je pourrais te mettre un shampoing-teinture à la place. Ça va avoir l’air super naturel.
—Non merci. 
—Ça va se mélanger à tes cheveux pis s’estomper tout doucement.
—Non merci. 
La visite suivante, il m’a offert des produits pour « cheveux matures ». Bon… je ne suis quand même pas rendu au shampoing bleu.

Dans les premiers temps, j’ai souvent ressenti le besoin de dire que j’assumais complètement mes cheveux blancs. (On pourrait même ajouter le besoin de l’écrire.) Comme pour souligner que ce n’était pas par négligence, mais vraiment par choix, oui, oui. Comme pour me convaincre moi-même, quoi.

Il faut dire que dans mon entourage, à part Marie Laberge et Cruella, je n’avais pas grand modèle féminin qui ne cherchait pas à dissimuler sa canitie (le terme officiel pour le « blanchissement des cheveux et des poils qui apparaît avec l’âge »). Au contraire, ma tante Huguette, propriétaire du salon Huguette Coiffure – jadis une institution dans le quartier Duberger-Les Saules – m’avait même réitéré combien cheveux colorés rime avec femme distinguée. À 80 ans, récemment déménagée dans une résidence pour aîné.e.s autonomes, elle me vantait les charmes de l’endroit.
— C’est beau, ça a l’air d’un hôtel… mais oh mon Dieu les têtes blanches. Franchement, t’es à l’hôtel, tsé : tu te forces!

Dans tout ce discours, ce qui m’irrite, c’est surtout le double standard. De façon similaire, quand je révèle aux gens que mon chum a 6 ans et demi de moins que moi (6 et demi, Chéri, pas 7), on me qualifie toujours de cougar. Ça se veut taquin, bien sûr. Mais je ne pense pas que Simon-Olivier Fecteau se fasse taquiner et traiter de Sugar Daddy si jamais sa blonde est un peu plus jeune que lui (aucune idée si c’est le cas).

Alors voilà, je ne dis pas qu’il faut que TOUTES les femmes embrassent leurs cheveux blancs. Je ne dis pas non plus que c’est superficiel de se teindre et que jamais plus je ne le ferai (le retour des mèches auburns pourrait facilement me convaincre). Je dis juste qu’il faut arrêter de les démoniser d’emblée, de dire à tout coup « ark, un cheveu blanc » et de trouver ça anormal, une femme qui vieillit.

Les mentalités changent tranquillement. Sur le tapis rouge de Cannes l’an dernier, Jodie Foster, Caroline de Monaco et Andie MacDowell ont dévoilé leurs cheveux blancs et j’ai trouvé ça rafraîchissant. De mon côté, je pense envoyer ceci au Soleil : Femme, 40 ans, 5’ 6, cheveux poivre et sel, cherche juste un peu d’ouverture d’esprit pour voir où ça peut nous mener.✌🏻

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