Comme la fois où je pensais que je pensais à rien.

Je suis une fan du silence. Je trouve que trop souvent on essaie de le combler. Pour s’étourdir. Par habitude. Par malaise. Quand mon coiffeur me demande: « As-tu vu des bons films dernièrement ? », je sais qu’on est rendus là, au moment où on essaie d’étirer la sauce. « Oui. », que je lui réponds. Fin de la discussion.

Mes amis le savent. Ma famille aussi. Ma mère encore plus. Surtout quand on passe la journée ensemble et qu’elle a droit à un « Je pense qu’on serait dues pour un 15 minutes de silence. Peut-être un 20 même. » Voilà, c’est dit. C’est rien de personnel. Ça ne se veut pas méchant. Mais c’est plus fort que moi : un besoin vital, viscéral. J’essaie de le dire avec une petite voix douce et un sourire en coin pour adoucir le propos. La fossette aide un peu parait-il. Je pourrais aussi y aller d’un « Ta yeule! » moins hypocrite mais je pense pas que Marie-Éva De Villers me backerait là-dessus. Le pire c’est que si je pouvais, c’est à moi que je le dirais : « Ta yeule, ta criss de yeule. » Je le dirais à la petite voix dans ma tête. Conscience, esprit, mental, Moi, égo, p’tit hamster : je sais pas trop comment l’appeler et ce que je sais encore moins, c’est comment lui fermer la trappe une fois de temps en temps. « Moi, quand je fais du yoga, je pense à rien. Je décroche com-plè-t’ment. », me dit une amie. Ok, allons-y pour le yoga dans ce cas.

En équilibre sur une jambe devant un grand miroir, je fais le Dandayamana-Dhanurasana et j’essaie de ne penser à rien. Je me le répète dans ma tête comme un mantra, pour être sûre de ne pas l’oublier: pense à rien, pense à rien. Ma p’tite voix volubile et mon profond désir de silence se font donc la conversation, ou plutôt la guerre, pour savoir qui va avoir le dernier mot:

– Pense à rien, pense à rien.

– Vraiment beau le top Lululemon de la fille en bleu.

– Pense à rien, pense à rien.

– Sérieux, j’pense pas que ce soit permis de respirer aussi fort Gars.

– Pense à rien, pense à rien.

– Ça se peut tu être plus gai que le prof?

– Pense à rien, pense à rien.

Ark, elle sue don ben elle.

– Pense à rien, pense à rien.

– Elle sue pis elle s’est même pas rasée le d’ssous de bras.

– Pense à rien, pense à rien.

– J’ai quand même des belles orteilles pour vrai.

– Pense à rien, pense à rien.

– Des beaux orteils ou des belles orteilles?

– PENSE À RIEN, PENSE À RIEN.

– J’suis tu rendue avec une ride dans le front moi??!!

PENSE À RIEN, PENSE À RIEN.

– Statue! Pause. Je pense que je pense à rien là. Oui oui: je pense à rien. Je pense à rien, je pense à rien! Attends, je pense tu à rien ou j’suis en train de penser que je pense à rien? Ou je pense tu simplement au mot rien?  Ok non, clairement j’suis en train de penser. Fuck.

Après l’échec du yoga, me restait la méditation pour poursuivre ma quête de silence intérieur. Je trouve un centre pas trop loin de chez moi et je m’y rends en me mettant dans un état d’esprit d’ouverture. Je veux vraiment laisser de côté mes préjugés et arrêter de penser que c’est Dobacaracol qui va m’enseigner à méditer. L’homme qui m’accueille à la réception n’a finalement pas de rastas mais ressemble étrangement à Roch Thériault. On s’en fait pas avec ça, me dit ma petite voix. Il me fait faire le tour du centre et je remarque que tout le personnel qu’on croise est habillé en blanc de la tête aux pieds. Comme Roch d’ailleurs. On s’en fait pas avec ça, me dit ma petite voix. Roch termine sa visite et me fait signe de prendre place dans une petite salle de type paroissiale où une dame s’apprête à donner son cours. Assise au milieu des Huguette, Yvon et Thérèse de ce monde, je fais baisser la moyenne d’âge de moitié. On s’en fait pas avec ça, me dit ma petite voix. La prof se présente brièvement et nous demande ensuite de faire de même en expliquant ce qu’on est venus chercher ici. Je me sens dans une réunion des AA.

– Bonjour, je m’appelle Roger. Je suis ici parce que depuis que ma femme est morte, j’ai de la difficulté à méditer.

– Bonjour, je m’appelle Denise. Je suis ici pour trouver la paix intérieure.

– Bonjour, je m’appelle Gisèle. Je suis ici pour laisser parler mon Soi supérieur.

– Bonjour, je m’appelle Marie-Eve. Je suis ici parce que j’aime pas les hamsters.

La dame en blanc nous explique ensuite les bases de la méditation : s’imaginer qu’on a un troisième oeil dans le front, le transformer en point lumineux, fixer le portrait sur le mur d’une vieille hindoue morte, se laisser habiter par les bruits de harpe, blablabla, machin-machin, bon ok on y va. Méditons. (…) Bon, j’ai le goût de rire. Comment ça j’ai toujours des fous rire quand y faut pas? Dans les enterrements par exemple. Un cercueil ouvert ou un show des Denis Drolet : même combat pour moi. J’aime d’ailleurs mieux quand les gens meurent l’hiver car au moins je peux dissimiler mes rires dans mon foulard. Peut-être que je pourrais venir méditer avec un foulard? Un foulard blanc mettons. Ok, faut vraiment que j’arrête de rire. Pense à quelque chose de pas drôle, me dit ma petite voix. La guerre, la famine, Cathy Gauthier. (Isch, on dirait que je n’assume pas cette joke-là. Je ne suis pas à l’aise avec le concept de blesser les gens gratuitement. Cathy, si tu m’entends, faut pas le prendre personnel ok? C’est juste une mauvaise joke. Disons que je suis pas ton public cible, c’est tout.) Bon, je reprends : pense à quelque chose de pas drôle : la guerre, la famine, la guerre. Ça marche pas, on dirait que c’est trop loin de moi, je sais pas à quelle guerre ou à quelle famine penser. Pense à quelque chose qui te toucherait personnellement d’abord, ajoute ma petite voix persévérante. Imagine que ton coiffeur te fait par mégarde une coupe champignon parce qu’il est trop absorbé à t’écouter lui raconter le dernier film que tu as vu au cinéma. Imagine qu’il te crève un oeil même au passage avec ses ciseaux. Vraiment trop absorbé le gars. Ok, ça marche. Je ris pu. Je médite pas encore mais au moins je ris pu. C’est déjà ça. Pratique, la petite voix parfois.

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3 commentaires pour Comme la fois où je pensais que je pensais à rien.

  1. Hélène dit :

    Bravo Marie. Tu me rire à chaque fois même si tu as toujours un côté sérieux. J’aime beaucoup ton écriture.

  2. Claude Auchu dit :

    Très bon, très drôle. En tout cas moi j’trouve… C’est certain que c’est pas tout le monde qui comprends ton humour, tes non-dits, tes blancs et ta petite voix, mais bon. Moi j’aime bien. 😉 Pas besoin de me dire que je suis gentil en re-ply, je porte un jeans bleu avec un t-shirt blanc !

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