Il y a plusieurs étapes dans la vie d’une jeune auteure. Il y a d’abord l’étape où tu n’assumes pas encore que tu écris: tu as clairement un sentiment d’imposteur et tu rougis quand on te fait des compliments. «T’exagères voyons, c’est juste parce que tu me connais que t’aimes ça.» Il y a ensuite le moment où tu commences à prendre confiance en ton écriture. À force d’avoir des bons commentaires de parfaits inconnus (lire ici des «lol»), tu te dis que peut-être que ça se peut, que finalement, qu’après tout, tu aies un mini mini talent avec les mots. Et puis, vient cette étape où tu prends vraiment confiance en ton écriture. Assez confiance pour te donner le titre de jeune auteure même si tu n’écris qu’un blogue pour l’instant. Assez confiance pour penser que tu peux écrire ce que tu veux dans la vie: des courts métrages, des BD, ton autobiographie… jusqu’à ce que tu sois frappé par ta première leçon d’humilité. Soit le moment où des gens pour qui tu as un très grand respect te demandent ce que tu essaies de communiquer à la société via tes textes. Soit le moment où tu te rends compte que tu n’as pas grand-chose d’intelligent à répondre à ça. J’ai vécu deux leçons d’humilité dans la même semaine. Grosse semaine.
La première est arrivée quand j’ai demandé à un ami scénariste de me donner son opinion sur mon court métrage. Je lui ai préalablement envoyé les textes par courriel et on est ensuite allés dîner pour en discuter.
AMI: As-tu apporté ton scénario?
MOI: Oui, oui, yé ici.
AMI: Ah c’est beau, pas besoin qu’on le regarde. Tu peux le prendre pis le déchirer.
MOI: Haha. Très drôle.
AMI: Non non, j’suis sérieux.
MOI: Ben là…
AMI: Tu peux pas juste partir sur une baloune pis scénariser sept pages comme ça. Faut que tu te poses des questions sur ce que tu veux dire avant. C’était quoi tes intentions d’auteure là-dedans?
MOI: Euh… heille si tu vois la serveuse passer fais-lui don un petit signe, je reprendrais bien un peu d’eau.
J’ai eu ma deuxième leçon d’humilité quand je suis allée dîner avec mon collègue Claude Auchu. Nous voulions collaborer sur une mini BD et en étions à notre premier brainstorm.
CLAUDE: De quoi t’aimes parler quand t’écris toi?
MOI: Hum, je dirais de l’absurdité de la vie.
CLAUDE: C’est-à-dire?
MOI: Du fait que la vie est absurde.
CLAUDE: Mais encore?
MOI: Ben, tu trouves pas ça à la fois rassurant et angoissant toi que la vie soit absurde? On sait pas trop ce qu’on fait ici. Y’a jamais rien qui arrive comme on avait pensé. Quand tu mets les choses en perspective plus rien n’a vraiment de sens ou d’importance. Y’a juste l’absurdité à laquelle on peut se raccrocher. C’est toujours là ça. C’est clair mon affaire?
CLAUDE: Pas vraiment.
MOI: Heille si tu vois la serveuse passer fais-lui don un petit signe, je reprendrais bien un peu d’eau.
Je me sentais tellement p’tit cul après ces deux rencontres. Un p’tit cul pas de contenu qui est juste capable de puncher de temps en temps. Tellement que j’ai entrepris de lire du Camus pour renforcer mon discours. Le mythe de Sisyphe: quelque chose de très léger (!) que j’ai eu la chance de lire en voyage, j’avais déjà lu Eat Pray Love alors…. Selon Camus, il y a trois façon de gérer l’absurdité de la vie (tout ça s’en vient un peu lourd me direz-vous, soit, je l’assume en mettant une parenthèse pour dire que tout ça s’en vient un peu lourd). Donc 3 façons de gérer la vie:
– En étant suicidaire
– En étant croyant
– En étant héros
Le suicidaire ne voit aucun sens à la vie et fait le «grand saut*» pour échapper à l’absurdité de sa condition.
* Dramatization. Do not attempt.
Le croyant dédie sa vie à une cause qui le détourne des grandes questions et angoisses existentielles. Quant au héros, il fait face à l’absurdité de la vie et va même jusqu’à l’apprécier. Comme Sisyphe dans Le mythe de Sisyphe. Car selon la mythologie grecque, Sisyphe, puni pour avoir insulté les dieux, serait condamné à pousser une grosse roche au sommet d’une montagne pour le restant de sa vie. Une grosse roche qui finit toujours par redescendre juste quand il s’apprête à atteindre le sommet. Mais Sisyphe trouve son bonheur dans le fait de pousser sa roche justement, même s’il sait pertinemment que c’est en vain. En fait, le bonheur selon Camus c’est de vivre sa vie tout en étant conscient de son absurdité. Loin d’être un imbécile heureux, je dirais que Sisyphe est un genre de «conscient heureux». Ou un douchebag qui veut avoir des triceps de béton.
En espérant que ce condensé philosophique réponde à ta question sur l’absurdité de la vie, Claude. Je l’espère bien car je n’ai pas vraiment beaucoup plus de temps à consacrer à tout ça. Je planche sur un nouveau projet en ce moment: Autobiographie d’une jeune auteure héros.