Oui oui je sais, mauvaise idée d’aller chez Ikea un dimanche. Surtout quand c’est la fête à la grenouille. Mais je me suis dit que ça n’allait pas être long puisque je savais exactement ce que je voulais: deux cadres Ribba blancs pour y mettre des photos prises par Jasmin Daigle. J’avais déjà visualisé la scène dans ma tête et ce serait fini dans le temps de le dire: je rentre chez Ikea, j’ai un soudain mal au ventre à cause du trop-de-bruit-trop-de-gens-trop-de-balles-de-couleurs, je prends deux bonnes respirations, je m’enfonce dans le labyrinthe, je rencontre David Bowie qui essaie de me détourner de ma mission, je continue mon chemin en me répétant mon mantra (Cadres-Ribba-blancs), je m’arrête devant les bougies, je taponne chacune des bougies en me disant qu’elles seraient bien belles dans ma salle de bain, je repars avec aucunes bougies, je trouve les cadres Ribba blancs, je me demande si les cadres Virserum ne seraient pas plus beaux finalement, je ne prends pas de chances et repars avec les deux modèles, je passe à la caisse, je me trompe de NIP, les gens s’impatientent derrière moi, je recommence et prends le temps de peser lentement et avec force sur chacun des boutons 1-2-3-4-5, je me dis que ça ne me tente vraiment pas de faire une autre file pour m’acheter un yogourt glacé à 1 $, je fais une autre file pour m’acheter un yogourt glacé à 1$, je commande deux cadres Ribba blancs à la caissière du bistrot Ikea (maudit mantra), je repars finalement chez moi en écoutant The National pour me remettre de mes émotions.
Mon plan était vraiment parfait. À un détail près. J’avais juste oublié de visualiser la scène « se trouver un stationnement ». En arrivant devant la grosse bâtisse bleue, j’ai donc zigzagué plusieurs minutes avant de me décider à enfin utiliser la bonne vieille technique pour se trouver un stationnement. Celle de suivre un petit-couple-heureux en filature à la sortie du magasin. Facile comme mission, il n’y a que ça chez Ikea. Tant qu’à suivre un couple, j’en choisis un symétrique. Je fais la même chose avec les fruits à l’épicerie, c’est plus fort que moi. Je suis donc tranquillement mon couple isocèle jusqu’à mon futur stationnement et j’attends patiemment que l’homme entre la grosse boîte de carton brun sur la banquette arrière de sa voiture, ou dans le coffre de sa voiture, ou dans le coffre de sa voiture avec la banquette arrière baissée finalement. J’attends ensuite qu’il aille porter le chariot au pays des chariots pendant que sa douce moitié se remet du gloss côté passager. Je m’engage finalement dans mon nouveau stationnement mais m’arrête à mi-chemin en me disant « Hum, je passe-tu? Je passe-tu pas? Y me semble que c’est un peu serré… Je vais-tu scratcher le char d’à côté si je continue? » Je ne prends pas de chance et recule un peu pour mieux me réenligner. Et alors que je recule un peu pour mieux me réenligner, une femme avance beaucoup pour mieux me voler mon stationnement. Convaincue qu’elle ne m’a pas vue, je lui fais un beau grand sourire sincère et des signaux de mains qui veulent dire : « Haha. Vous pensiez qu’il y avait un stationnement de libre là. Mais non. C’était le mien. Hahaha. Pas facile de se trouver un stationnement en ce dimanche pluvieux, hein? Mais ne désespérez pas, vous allez y arriver. Avez-vous essayé la technique du petite-couple-heureux? »
Malgré mon mime empreint de politesse et de compassion, la contrevenante ne bouge pas d’un pneu. Pire même, elle arrête le moteur de sa voiture en me faisant un sourire loin d’être empreint de politesse et de compassion. Un sourire baveux genre. Je décide de me faire respecter et vais gentiment cogner à sa fenêtre. Elle est avec sa fille d’environ 9 ans.
– Toc toc toc
– Qui est là?
– C’est Simon.
– Simon qui?
– Si mon Gros bon sens ne me retenait pas, je t’en crisserais une drette là maudite-voleuse-de-parking-qui-sait-pas-vivre.
Ok, dans ma tête ça s’est passé comme ça. Mais dans les faits, ça s’est plutôt passé comme ceci:
– Toc toc toc.
– (Pas de réponse.)
– Toc toc toc.
– (La contrevenante ouvre la fenêtre.)
– Excusez-moi madame, vous ne m’aviez peut-être pas vue mais c’est parce que ça faisait au moins 5 minutes que j’attendais après ce stationnement.
– What?
– Excuse me ma’am, maybe you didn’t see me, but I’ve been waiting for this parking lot for 10 minutes.
– No.
– No?? What do you mean, no? This parking lot is mine. I’ve been waiting 15 minutes for it. I was just realigning my car.
– I don’t mind. It’s mine now.
– What??! That’s not fair. This is not a good example to show your daughter.
– So now you’re gonna tell me how to raise my daughter?
– Yes. I mean no. But I really don’t understand why you are doing this me. I’m a nice person and what you’re doing now is not…. euh…. is not…..euh….is not nice at all! (Et vlan, dans les dents.)
Sur cette insulte qui lui a probablement été droit au coeur, j’ai quitté mon feu stationnement. La tête haute. Fière de lui avoir dit le fond de ma pensée. Une fois à l’intérieur de la fameuse bâtisse bleue, j’ai recroisé la contrevenante et sa fille d’environ 9 ans. La contrevenante ne m’a pas vue (pour faire changement), mais sa fille, si. Et je lui ai lancé l’un de ces regards. L’un de ces regards qui voulait dire « C’est vraiment MAL ce que ta mère a fait ». Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. Pauvre fille d’environ 9 ans, c’est pas de sa faute. Je me suis souvenue par la suite comment on pouvait parfois avoir honte de nos parents à cet âge-là. J’ai entre autres pensé à mon père, en boxer, en plein milieu du Simons. Il ne voulait pas se taper la file d’attente des cabines d’essayage pour une paire de jeans. Débrouillard quand même.
Le « Simon » est une philosophie de vie. J’y adhère.
Pour autant, le couple était symétrique, mais aura une nouvelle commode.
Et puis pour la fille, autant se dire que c’est génétique, c’est souvent vrai.
« Génétique », c’est un peu fort non? Il me semble qu’on peut tous penser à une situation qu’on s’est jurée de ne pas reproduire, justement par désir de ne pas ressembler à nos parents dans ce contexte particulier.